2 Juillet 2004

2 juillet 2004, une journée de merde !

Quand le Nokia 3310 a sonné 6h30, j’ai péniblement ouvert un œil avant d’appuyer sur la touche d’arrêt de la sonnerie, puis comme un éclair la première pensée qui m’a traversé l’esprit a été : « Aujourd’hui va être une journée de merde ».
Dix minutes plus tard je me demandais encore pourquoi ma première pensée de la journée avait été aussi pessimiste… En écartant le rideau à fleur de la chambre d’hôtel où je suis depuis deux jours, je me suis aperçu qu’il pleuvait doucement et que le ciel était complètement plombé. Bon, c’est vrai qu’on est en juillet et qu’il y a certainement beaucoup d’endroits où il fait beau, mais je commence, depuis vingt et un mois à avoir l’habitude de ce temps pourri été comme hiver.
Décidé à ne pas me laisser abattre par cette pluie, je me rase, un coup de gant de toilette sur le museau et un coup d’eau de toilette finissent de me réveiller. Vite fait j’enfile pantalon, chemise et le reste, pour aborder dignement le petit déjeuner qui m’attend certainement dans la salle du restaurant au rez-de-chaussée.
La patronne, j’ai envie de dire la matronne, du fait de son volume, a effectivement mis en place l’unique petit déjeuner qu’elle servira de la journée. Un croissant, deux morceaux de pain, un petit peu de beurre et de confiture attendent la tasse de café chaud qui va arriver dans quelques minutes.
Je déjeune en écoutant William Leymergie diffusé par la télé au-dessus de ma tête à douze mètres au dessus du parquet usé de la salle du resto. Enfin quand je dis j’écoute… c’est beaucoup dire car la patronne essaie de me faire la conversation et du coup je ne comprends ni ce qu’elle dit, ni ce que William raconte. Je termine de déjeuner sans m’être renversé le café sur le pantalon et sans avoir échappé la tartine de pain beurré que je grignote de bon cœur. Je me dis que cette première épreuve étant passée la journée n’est pas si mal engagée.
En prenant ma voiture garée sur le parking face à l’hôtel, je pense un instant qu’elle ne va pas démarrer, mais si, comme d’habitude elle part au quart de tour et je prends la route vers Hornoy-le-Bourg à vingt kilomètres de là. Je roule doucement, contrairement à mon habitude, car ma vielle pensée du matin est toujours là, par derrière. Je me dis que la chaussée est mouillée et qu’il faut être prudent sur cette petite route sinueuse, j’en profite donc pour admirer le paysage de la campagne normande dans le petit matin et les vaches qui me regardent passer quatre fois par jour, il n’y a pas de train dans le coin, elles n’ont donc rien de mieux à faire.
En traversant les quelques villages du parcours je fais particulièrement attention car il a plu tout le long du chemin et de temps en temps il arrive qu’un paysan, mal réveillé, débouche à l’improviste persuadé qu’il est chez lui et que les étrangers n’ont qu’à rester chez eux. Mais non, rien de particulier, j’arrive aux installations de chantier sans encombre, surpris que ma mauvaise impression matinale ne se soit pas encore concrétisée.
Aujourd’hui, l’objectif de la matinée et de terminer avec Fabrice le dossier de réception de la couche de forme du Lot 1. Quand j’arrive Fabrice est déjà au boulot, cela fait huit jours qu’il patine sur ce dossier et j’ai peur qu’il ne s’en sorte pas. Vers dix heures il me remet enfin le premier jet du document pour que je le valide. Je suis assez content car je n’aime pas les choses qui traînent en longueur et je sens qu’on va enfin en finir avec ce sujet. Je découvre, à la lecture, un paquet de conneries qui me posent vraiment problème, mais après réflexion et quelques discussions on trouve ensemble une solution à chaque problème et le dossier peut enfin être bouclé.
Le reste de la matinée se passe à des tâches diverses dont je ne me souviens plus tant elles ont été variées. Aujourd’hui c’est vendredi, nous ne travaillons que la matinée et vers onze heures, les plus pressés de partir en week-end, souhaitent bon week-end à ceux qui restent jusqu’à midi. Sur le coup des midi et demie je m’aperçois que je suis seul dans les bureaux et que c’est encore moi qui vais fermer le portail des installations.
Je me tâte un moment pour savoir si je reviens cette après-midi pour avancer un peu mon travail et je me réponds que oui, je reviendrai travailler un peu, bien que seul dans le bâtiment, cela ne soit pas très gai. Au moins je serai tranquille. Je cherche ensuite où je pourrais bien aller déjeuner hésitant entre Aumale et Blangy, j’opte finalement pour la pizzeria d’Aumale avec dans l’idée une bonne pizza calzone.
Je pars donc en direction d’Aumale qui est également à une distance de vingt kilomètres environ. La départementale 18 est petite et bordée tout le long par des champs de blé ou d’orge. Je fume une cigarette et roule doucement, je ne suis pas pressé et de plus la route est toujours mouillée car il a continué à pleuvoir une bonne partie de la matinée. Je roule à
soixante dix kilomètres par heure au maximum. Quand j’ai fini ma cigarette je baisse la vitre pour jeter le mégot, comme je le fais si souvent…quand mon cendrier est plein. Mais, malgré l’humidité ambiante je me dis que ce serait idiot de foutre le feu à tout ce beau blé bien mûr, bien jaune. Je me ravise donc et écrase mon mégot dans le cendrier déjà bien plein, en prenant bien soin de ne pas le faire déborder. Cette précaution prend mon attention pendant quelques secondes car il est vraiment bien plein mon cendrier…
Quand je relève la tête, mon sang ne fait qu’un tour… je le vois arriver sur ma droite à toute vitesse, fulgurant ! Il débouche d’un champ et ne me voit pas, c’est sûr il ne m’a pas vu ! Tout se déroule alors comme au ralenti, j’évalue à toute vitesse les possibilités, freiner me paraît hasardeux car même avec l’ABS, la route est étroite et mouillée et la distance vraiment très courte. Il faudrait freiner vraiment fort et le risque de partir dans le décor est grand. Le coup de volant me paraît tout aussi risqué car il y a un fossé en terre assez profond de chaque côté et j’ai toutes les chances de passer sur le toit malgré la vitesse réduite à laquelle je roule. Pendant que ces pensées me traversent l’esprit et en quelques dixièmes de seconde j’ai encore le temps de le voir, il accélère ce con, persuadé qu’il va arriver à passer, je l’observe car maintenant il est tout prés, je sais que le klaxon ne servira à rien et je n’essaie même pas. Au dernier moment mes doigts se crispent un peu sur le volant, je prie, oui, je prie pour que ça se passe le mieux possible. J’ai encore le temps de penser que si Jocelyne était là à côté de moi elle serait certainement en train d’hurler, c’est fou tout ce qui peut vous traverser l’esprit dans ces moments !
Ma dernière pensée est clairement « Fais demi-tour, merde, fais demi-tour » mais c’est impossible, c’est idiot, à la vitesse à laquelle il est lancé c’est im-pos-sible et moi, je ne peux pas non plus.
Je ferme les yeux un quart de seconde en attendant l’inévitable choc… mais, rien… alors l’espoir renaît, j’hésite, j’ai peur de la vérité, mais je regarde quand même dans le rétro pour comprendre, oui, il est bien là, derrière moi, écrasé comme une crêpe… le petit mulot !

…… Une journée de merde, je le savais !


Georges


Anibar3