Cruels internes, objets de notre jeune amour

martineMartine Hercouët qui nous a déjà donné un morceau choisi de son inspiration poétique d'alors ('Mon cher Lycée'), nous en a retrouvé un autre :

En lisant ta note Jean-Jacques (Delevaque), et surtout en découvrant ta photo, j'ai repris 47 ans "dans les gencives"... En effet, je te confirme que le garçon au 1er rang, 2e en partant de la droite est bien Troubat Gabriel, avec sa blouse blanche et sa "célèbre" chemise à carreaux rouge et noire...

Pourquoi ce détail alors que ta photo est en noir et blanc ? Parce que j'en parle dans un poème ! Et parce que j'étais secrètement un peu amoureuse de ce garçon depuis que je l'avais vu jouer dans "Cinna". Tout ceci n'était que platonique car je n'ai jamais osé lui parler et comme j'étais extrêmement timide, je rougissais à chaque fois que je le croisais dans les couloirs... Et comme vous l'allez voir, la preuve est dans un des poèmes que j'avais écrits lorsque j'étais en 1ère...

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J'ai toujours eu un goût pour l'écriture, et j'aimais écrire en alexandrins à cause de leur musique. Et à cette époque, tout m'inspirait et c'est ainsi que j'ai fait un poème sur le lycée qui s'ennuie quand nous sommes partis en vacances, sur la difficulté d'avoir 16 ans, sur une séance de travaux pratiques, et même sur un examen de sténo... Mais aussi sur nos amis internes.

Et oui, chers amis internes, je l'avoue aujourd'hui, vous nous intriguiez un peu mes amies et moi et comme nous ne vous connaissions pas, nous vous attribuions des surnoms, d'où Cinna pour Gabriel...(alors qu'il ne jouait pas ce rôle si ma mémoire est bonne). Nous vous baptisions et rêvassions...

Il y a deux ans, j'avais retrouvé ces manuscrits et je vous livre donc le "fâmeux" poème écrit sur les internes. A noter qu'une de mes copines était surnommée Zizi car elle s'appelait Jacqueline Jeanmaire...

martine Martine



O cruels internes, objets de notre jeune amour...

(Ecrit à 16 ans en classe de 1ère E4 par Martine GAMELIN (HERCOUËT)
en fin d’année scolaire juin 1965



O cruels internes, objets de notre jeune amour
Combien de pas pour vous, nous fîmes dans la cour
Mettez donc la main sur notre cœur
Et voyez comme il se trouble au nom de son vainqueur !

Toi, « Poupinet », en perm, Zizi de te voir à la chance
Pour toi « Bel Ami », Françoise bénit les stocks et nous arpentons les couloirs
Et toi « Cinna », je ne te vois point, et les cours recommencent
Tous trois ignorez que nos pensées sont au dortoir.

O cruels internes, soucis perpétuels de nos conversations
Nous troublant le jour, nous troublant la nuit
Mais ne nous donnant bien souvent pour satisfaction
Que la vision décevante de vos charmants sosies.

Toi, « Cinna », pourquoi es-tu parti en classe de Maths Elem ?
J’avais pourtant de chances de te croiser dans les couloirs
Au Technique, étais-tu incapable d’appliquer les théorèmes ?
Je ne puis maintenant que te voir, courant au réfectoire.

Que sais-je de toi ? Rien sinon que tu es blond
Que Gabriel tu as pour charmant prénom
Où demeures-tu ? Je l’ignore encore
A Juvisy ? Savigny ? Ou plus au Nord ?

Dis-moi mon blondinet, quel est ton nom ?
Apelle-toi César, Auguste ou Troubat
Le dernier est bizarre je l’avoue au fond
Mais qu’importe, puisque « Cinna » pour moi toujours tu resteras.

Et toi que j’oubliais « toubib » puisque tel est ton surnom
Tu ignores avec quelle ardeur nous scrutons le parking
Mais tout est oublié quand tu parais dans ton noir smoking
Car tu n’es pour Madeleine qu’un adorable petit pion.

Quand tu parais avec Roc à la sortie du réfectoire
En une charmante pivoine elle se métamorphose
Et nous lance songeuse en se versant à boire
« C’est drôle comme le hasard fait parfois bien les choses ».

O « Cinna » pourquoi restes-tu insensible ?
N’entends-tu pas mon cœur plein de détresse 
Te crier « Cinna, Cinna » sans cesse ?
Ne vois-tu pas un sourire à peine perceptible ?

Et le samedi, que fais-tu ? Je ne vois que des internes
Sauf toi bien sûr. Vas-tu sortir de ce Moderne ?
Mes yeux sont las de te guetter en vain
Et je m’en vais bien tristement prendre mon train.

Tu n’es pas encore là et pourtant le lycée bouge
Pour moi il est immobile et désert puisque tu n’es pas là
Mais voici que paraît une chemise noire et rouge
C’est bien toi que voilà mon petit « Cinna ».

Pourquoi fallait-il que je tombe à ta table ?
Depuis ce jour fatal, mon cœur se sent tout drôle
Ne pas t’avoir connu eût été regrettable
Je porte donc ma croix sur mes frêles épaules.

Et vous, Monsieur « Poupinet » on ne comprend pas la sténographie ?
On demande innocemment des explications à Zizi
Qui rougissant ne demande pas mieux de s’exécuter
Sous l’œil amusé d’un pion qui reste médusé.

A lors « petit Dauphin » puisque tel est ton surnom
On tombe comme cela en panne de gauloises ?
Avec l’air innocent d’un petit garçon
On demande négligemment la commission à Françoise ?

Si donc les enveloppes constituent la bonne solution
Un interne a réussi à entrer en relation
Et toi « Cinna » useras-tu de ce stratagème
Toi mon petit « Cinna- que de tout mon cœur j’aime ?

Peut-être qu’un jour aussi me faudra-t-il te rapporter
Comme à tous ces internes des enveloppes timbrées
N’osant imaginer qu’elles sont pour ma rivale
A ce moment, mon cœur me fera mal, très mal.

Et vous Monsieur « Poupinet », on se dévergonde ?
On raccompagne Zizi à la porte du lycée ?
A peine nous effaçons-nous pendant une seconde
Vos regards reflètent le bonheur et la gaité.

Voici « Bel Ami » qu’à l’horizon tu reparais
Bien mort pourtant nous te croyions
Mais un feu dans son cœur encore brûlait
Puisqu’aujourd’hui de son foyer, elle ranime les tisons.

oooOooo

(retranscrit en septembre 2008, 43 ans après...)

Carte élève martine


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